Critique : Anatomie d’une chute
par Fabien Lemercier
- CANNES 2023 : Justine Triet met en scène une œuvre magistrale portée par l’exceptionnelle Sandra Hüller. Un film à suspense et à strates multiples, sur un couple et la judiciarisation de l’intime
"Que voulez-vous savoir ?" La protagoniste d’Anatomie d’une chute [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Justine Triet
fiche film] de Justine Triet, dévoilé en compétition au 76e Festival de Cannes ne croit pas si bien dire quand elle pose cette question, en ouverture du film, à une étudiante venue l’interviewer dans son chalet familial de la montagne française. En effet, on en saura énormément sur elle à l’issue de l’intrigue, mais peut-être pas tout et sûrement pas tout, car c’est le grand art de la cinéaste française de maîtriser le tissage plus que subtil d’un récit renversant, de fouiller en finesse, graduellement, méticuleusement et avec une précision stupéfiante dans les recoins les plus inattendus sans jamais imposer au spectateur un point de vue ou une morale.
S’il y a des projections de sang cruciales dans cette histoire démarrant sur une mort violente dont on ne sait s’il s’agit d’un suicide ou d’un meurtre, avec toutes les hypothèses, les soupçons et les doutes qui accompagnent ce genre de fait divers, c’est en réalité une toute autre projection qui irrigue souterrainement un film très concret et captivant d’enquête et de procès se déployant à grand amplitude : une plongée de l’autre côté du miroir, dans la zone opaque de l’intimité d’un couple dont l’intensité peut toujours prêter à confusion vue de l’extérieur.
Pour Sandra (l’extraordinaire actrice allemande Sandra Hüller), le choc est très violent quand elle découvre avec leur jeune fils Daniel (Milo Machado Graner) le corps de son mari Samuel qui s’est écrasé depuis les combles du chalet qu’il travaillait à rénover au son assourdissant d’une boucle de rap de 50 Cent. Que s’est-il passé ? La mère et son enfant de 11 ans (aveugle depuis un accident survenu sept ans auparavant), encaissent tant bien que mal l’immense décharge émotionnelle. Mais le drame rebondit car le corps du défunt va parler : l’autopsie soulève de sérieuses interrogations : le traumatisme crânien de la victime pourrait avoir précédé la chute. Mise sur la sellette, Sandra appelle à la rescousse un ami avocat (Swann Arlaud). D’interrogatoires en reconstitution, d’expertises en découverte de nouveaux éléments troublants, de stratégies de défense à la médiatisation de l’affaire, on s’achemine vers le procès. En liberté sous contrôle judiciaire, Sandra tente de continuer à vivre sa vie de mère, mais c’est toute son existence de femme et d’épouse qui remonte à la surface…
Extrêmement douée pour doser les niveaux d’atmosphères, Justine Triet opère avec une grande justesse sur cette frontière où se brouillent les pistes entre de possibles manipulations et la sincérité de la complexité. Réussissant à rendre totalement crédible, accessible et vivante son approche sophistiquée et singulière, la réalisatrice (qui a écrit le remarquable scénario avec Arthur Harari) signe une œuvre de très haute altitude explorant aussi en écho la fine limite séparant le réel de l’imaginaire (l’héroïne est écrivaine), les sujets du regard, des l’influence des images et de l’instinct de protection. Quelques thèmes parmi beaucoup d’autres distillés et enchevêtrés dans un film envoûtant d’une prodigieuse richesse, aussi subtil que puissant.
Produit par Les Films Pelléas et par Les Films de Pierre, coproduit par France 2 Cinéma et Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma, Anatomie d’une chute est vendu par mk2 Films.
Galerie de photo 21/05/2023 : Cannes 2023 - Anatomie d'une chute
16 photos disponibles ici. Faire glisser vers la gauche ou la droite pour toutes les voir.
© 2023 Fabrizio de Gennaro for Cineuropa - fadege.it, @fadege.it
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.
