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SARAJEVO 2023 Compétition

Critique : Europa

par 

- Après le film encensé Joy, Sudabeh Mortezai livre un drame politique cinglant qui se passe en Albanie

Critique : Europa
Lilith Stangenberg dans Europa

Europa est un des titres qui suscitaient le plus d'impatience cette année parmi les premières mondiales du Festival de Sarajevo, où il était en lice pour le prix principal. Ce troisième long-métrage de la réalisatrice iranienne-allemande Sudabeh Mortezai suit une femme d’affaires en déplacement dans une Albanie rurale où elle doit parvenir à un accord entre les propriétaires terriens locaux et la société pour laquelle elle travaille.

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Lilith Stangenberg (Wild [+lire aussi :
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) est courageuse dans le rôle de Beate, une cadre d'entreprise qui se voudrait impitoyable, et dont le comportement aimable avec les gens jure constamment par rapport à sa réserve, dans ses paroles et dans ses gestes. Elle laisse la matriarche de la maison décrépie qu'elle visite lui prendre la main, mais en sortant, elle attrape son gel hydroalcoolique. Elle accepte un verre de raki, mais se débarrasse ni vu ni connu de son contenu. C'est une femme posée (presque trop) dont les vêtements élégants et le chignon impeccable se démarquent, dans cette région rongée par la pauvreté et la dépopulation. Beate incarne à la fois le pouvoir et l’impuissance. Mortezai est particulièrement habile pour ce qui est de souligner ces contradictions entre "nous" et "eux", et de pointer du regard les conséquences problématiques de ce type de division binaire. Europa ne fait pas exception, même s’il est un peu plus doux que le radical Joy [+lire aussi :
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, qui débordait d'un fiévreux malaise.

Beate est l'héroïne du film, mais elle n’en est certainement pas le personnage principal. Le film laisse assez de place aux familles, aux maisons, aux rituels, aux fermes et aux espaces religieux de la région. Elle compose une riche tapisserie montrant des gens indépendants et fiers qui préfèrent rester sur leur terre plutôt que céder à l'offre d'une coquette somme en argent comptant. Le conflit entre la ville et le village comme lieu où vivre n'existe pas en tant que tel dans l’esprit de Beate, et la manière dont elle évolue à travers cette réalité étrangère est détachée et sensiblement froide. Klemens Hufnagl, le chef opérateur habituel de Mortezai, qui faisait se dégager de Joy une espèce d'intimité anxieuse très particulière grâce à l’utilisation qu'il faisait de la proximité affective et du dynamisme, traque ici Stangenberg tendit qu’elle avance péniblement à travers des espaces intérieurs et extérieurs sans une parcelle d'interaction.

Quant à EUROPA, la grande corporation représentée par Beate, c’est peut-être le sujet le plus trouble du film. Non seulement on ne sait pas ce qu’elle fait, mais il est suggéré que la zone militaire bien gardée qu'elle possède dans la vallée n’est que le la pointe de l’iceberg. Le public peut deviner à quel genre d'entreprise on a affaire là, mais l’ambiguïté nuit un peu aux éléments de thriller que le film pourrait facilement incorporer et utiliser à son avantage. La dépossession déguisée en philanthropie est une pratique héritée de la pensée coloniale, et le film établit clairement que les bonnes et les mauvaises intentions sont souvent interchangeables dans un tel contexte.

Europa ne cherche pas à réconcilier les deux côtés, les privilégiés et les autres. Ce que le film fait, c'est construire un pont pour que nous, les spectateurs, voyions comment ils interagissent et mesurions l'ambiguïté des relations de pouvoir dans une situation qui est nettement dramatique, parce que les enjeux sont considérables. La bataille pour sauver les maisons ancestrales transmises depuis des générations de l’expansion et la quête de profits peut sembler une cause perdue, mais Mortezai niche un peu d’espoir dans les personnages secondaires du film et dans les brèches de l'image apparemment parfaite de Beate, tout en nous épargnant une prise de position ferme quant à qui sera le gagnant et qui le perdant. Il faut garder à l'esprit que tout cela est le produit de siècles de jeux de pouvoirs violents partout en Europe et dans le reste du monde, de sorte qu'il n'y a peut-être ni gagnant ni perdant.

Europa a été produit par la société autrichienne Fratella Filmproduktion en coproduction avec les enseignes britanniques Good Chaos et Film4. Les ventes internationales du film sont gérées par Memento International.

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(Traduit de l'anglais)

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